Rien à voir avec les attouchements que j’ai subis à l’internat catholique quand j’avais 14 ans. Je m’en étais quand même ouvert auprès de ma mère qui a aussitôt pris rendez-vous avec l’abbé directeur. À la suite de quoi je fus exclu du collège pour « mauvais esprit ». Ha ! ha ! ha ! C’est ainsi que je découvris à 14 ans que j’étais doté pour la vie d’un mauvais esprit ! La bonne blague. Autant vous prévenir tout de suite, ma ridicule mésaventure n’a aucune commune mesure avec ce qu’il se passe dans le « roman » qui vient où il s’agit aussi de pédophilie. Aucune.

petite fille

D’abord, d’accord, il s’agit aussi de pédophilie dans mon petit cas, mais ici la pédophilie apparaît à un degré de gravité extrême, et plus précisément à deux niveaux qui n’ont au départ rien à voir entre eux, d’une part la pédophilie qui se produit à l’intérieur d’une famille (d’avocats), par un grand-père sur sa petite fille, et d’autre part celle d’un homme sur des petits garçons inconnus et qui finit par en tuer un. L’auteure relie ces deux successions d’actes après avoir rencontré et enquêté sur le pédophile meurtrier pour la raison simple qu’elle est une farouche opposante à la peine de mort. Nous découvrons ainsi en parallèle les actes pédophiles que l’auteure a subis à maintes reprises par son grand père et celui du pédophile meurtrier condamné à mort. Dans les deux cas, l’auteure cherche à comprendre et le.la lecteur.trice suit les faits glaçants au fur et à mesure de son enquête et de la compréhension des agissements des uns et des autres à laquelle elle accède au prix de nombreuses rencontres et réflexions ainsi que de consultations d’innombrables archives (celles en particulier des jugements du pédophile meurtrier Ricky Langley). La réalité dépasse à chaque instant la fiction en ce sens que la traque de la vérité dans cette glauque réalité est incommensurablement plus forte que toute invention d’une fiction ayant pour thème la pédophilie. C’est tout simplement terrifiant, surprenant, courageux et drôlement intelligent ! Dans la maison de mes parents, il y a toujours eu de la souffrance, il y a toujours eu de l’amour.

Mais la décision de se détourner du passé n’est jamais bénigne. Le lendemain matin de la soirée de Noël où j’ai entendu mon père raconter à des amis que j’étais en train d’écrire sur un fait que j’étais seule à me rappeler, je l’ai sommé de se justifier. Ma sœur Nicola m’a soutenue, et lui a dit qu’il déraillait. Bien sûr qu’elle se rappelait les attouchements subis. Nous nous les rappelions tous. Mais deux ans plus tard, elle m’a dit : « j’ai décidé de me considérer comme quelqu’un qui n’a pas subi d’abus sexuels. » Ça été extrêmement brutal pour moi d’entendre ces mots. Nous avions partagé une chambre. J’avais regardé mon grand-père la toucher. Il m’avait sortie de mon lit et emmenée dans la salle de bains où elle attendait. Il avait défait sa braguette et nous avait forcées à poser nos mains sur lui. Elle ne peut pas prétendre que rien de tout cela ne s’est produit. Elle ne peut pas.

Sauf que bien sûr – elle peut.

Alexandria Marzano-Lesnevich, L’Empreinte, traduit de l’anglais (USA) par Héloïse Esquié, Sonatine Éditions

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