J’aime beaucoup Edgar Morin. Je n’ai pourtant rien lu de ses écrits sur la pensée complexe. J’ai lu ses souvenirs comme un roman et me suis projeté dans son personnage, ressentant beaucoup d’affinités avec cet homme. Un homme qui a presque un quart de siècle de plus que moi, qui fut résistant et dont les écrits socio-anthropologiques ont été salués dans le monde entier, mais pas tellement en France à sa grande tristesse sinon son étonnement. Tout au long de la lecture, je fus attentif à tous les passages politiques, philosophiques et sociologiques. Tous les portraits d’hommes et de femmes qu’il a fait et aussi les descriptions des villes qu’il a aimées à travers le monde où il est resté à chaque fois plusieurs mois (invité) pour y travailler à ses projets de recherche. Quelle vie ! Ce chercheur a beaucoup lu et déclare sans ambages l’importance primordiale de la lecture dans la vie. Je ne peux que lui donner raison. Quelques livres ont changé le cours de ma propre vie en changeant ma vision du monde. « Qu’est-ce qu’un livre qui compte dans une vie ? C’est celui qui constitue pour son lecteur une expérience de vérité, cela vaut non seulement pour un livre d’idées, mais aussi, parfois plus profondément pour un poème ou un roman. Voici qu’il nous dévoile et rend intelligible une vérité ignorée, cachée, profonde, informe, que nous portions en nous, et qui nous procure ainsi le ravissement de cette découverte. En faisant surgir une vérité, invisible au départ, ce livre illumine notre esprit, s’y incorpore et devient nôtre. »
Une des multiples choses que je partage avec Edgar Morin est l’attirance pour la ville de New York (Manhattan). J’y suis allé maintes fois comme lui, pour des séjours plus ou moins longs, profitant du fait que mon frère y habite depuis plus de cinquante ans !
« Rien ne parle d’éternité dans cette ville. Rien n’a de racine dans le passé. Rien ne semble devoir défier le temps. Tout périt. Tout renaît. Tout vit dans le temps, ce temps. La beauté de New York est une beauté mortelle. Cette ville a été construite pour sa fonction, pour le profit, pour l’économie ; toute l’édification a été guidée par seulement la géométrie et le hasard. Et c’est cela le chef-d’œuvre. Manhattan sous quelque angle qu’il apparaisse. Le véritable art new-yorkais n’est pas dans les musées, les concerts, expositions, et. Tout cet art mondial a été attiré, acheté, consommé, entretenu (fondations etc.) à New York. Mais le véritable art de New York est dans sa surréalité, dans l’auto-création/destruction permanente, dans son caractère incroyable, évident, délirant. » « La matière de New York, c’est l’énergie ».
Ce recueil de souvenirs fait plus de six cents pages sans compter les textes en annexes. Je pourrais piocher des centaines de passages intéressants, formidables ou importants. Je vous enjoins à le découvrir.
Edgar Morin, les souvenirs viennent à ma rencontre, Fayard